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La Belle Muse endormie – épisode 1


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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La Belle Muse

Parodie

La Belle Muse endormie dormait au milieu du bois qui dormait aussi d’un long sommeil, durant depuis de longues, très longues années.
La Belle Muse dormait et rêvait dans son merveilleux Palais de Rêves.
De qui et à qui pouvait-elle rêver sinon à son Beau Prince au coeur vaillant, ce brave chevalier sans peur et surtout sans reproche qui devait affronter ce bois épais et venir lui donner le baiser salutaire qui allait la réveiller du sommeil et de la torpeur de son inspiration.
La Belle Muse rêvait, rêvait et plus elle rêvait, plus le Palais de Rêves s’élevait autour d’elle et plus ses murs s’épaississaient.
Les plus beaux rêves pendaient autour de son alcôve tels des toiles d’araignée. Ils formaient des voiles diaphanes qui couvraient et cachaient le sommeil de la Belle Muse endormie et rêveuse.
Il y avait là, tout autour, des milliers de rêves et la plupart étaient si fins, si frêles, si diaphanes qu’on ne pouvait y toucher de peur de les déchirer.
La Belle Muse dormait donc d’un sommeil paisible et profond et rien et personne ne troublait son doux repos.
Seuls, les rêves qu’elle rêvait prenaient doucement leur vol, s’attachant près des autres, et entourant la Belle Muse tel un baldaquin.
Quand les rêves qu’elle faisait étaient beaux, la Muse souriait toute heureuse ; quand ils étaient tristes, elle s’attristait ; quand ils étaient mauvais, elle devenait laide et maussade et quand ils étaient drôles, la Muse se mettait à rire dans son sommeil.
Comme la raison de la Belle Muse était elle-même endormie, celle-ci se mit à enfanter des monstres. Et tous ces monstres monstrueux tels que : chacals, panthères, lices, singes, scorpions, vautours et serpents, tous horribles, glapissant, hurlant, grognant, rampant et Dieu sait quoi encore faisant, prirent le chemin des bois à la recherche d’une proie.
Seul, le monstre le plus méchant, le plus immonde, tranquille en apparence, sans pousser de grands gestes, ni de grands cris, s’assit sur sa queue et ses pattes de derrière pour garder l’entrée du Palais de Rêves et le sommeil de la Belle Muse endormie. Il bâillait de temps en temps et il aurait bien avalé tout le monde, mais il s’abstenait.
Tu as deviné, cher lecteur, mon semblable, mon frère, que ce monstre hideux, dont un oeil pleurait et l’autre riait, qui fumait son houka, eh bien, cher lecteur, ce monstre hideux et délicat à la fois, (ne fais pas l’hypocrite, mon cher lecteur), n’était autre que la Nuit ou l’Ennui ou mieux l’Ennemi car tous ces mots vont de pair et – qui se ressemblent s’assemblent- tu le sais aussi bien que moi et que cet illustre Beau de l’Air.

A suivre…

L’enlèvement de la Belle Muse – épisode 15


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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L’Ennui aurait voulu s’amuser au bal masqué mais il savait qu’il courait un grand danger s’il restait encore au Palais des Rêves. Il fit ses bagages et s’en alla rapidement à la faveur de la nuit…
Le cheval sur lequel étaient montés La Belle Muse et Mal Armé semblait voler.
Mal Armé tenait la Muse étroitement collée contre sa poitrine et elle se laissait bercer par ce vol enivrant. Le cheval déchirait la nuit telle une flèche et l’air vibrait longuement derrière eux. Le temps semblait voler également. Et comme ils couraient, portés par ce cheval merveilleux, Mal Armé se pencha à l’oreille de la Belle Muse et se mit à lui murmurer des vers. Sans bien comprendre leur sens, à cause de leur hermétisme, la Belle Muse en ressentait pourtant un grand trouble. C’était une espèce d’incantation, un chant envoûtant que Mal Armé murmurait à son oreille. Il la troublait profondément et elle se demandait avec étonnement comment elle n’avait  encore rien entendu de ce poète. Etait-ce le Hasard qui le lui avait envoyé ou bien le Destin?

Soudain, Mal Armé lui dit que Mal Aimé ne l’attendait plus sur le Pont des Merveilles, qu’il avait récemment connu une Jolie Mendiante Rousse chez Beau de l’Aire et qu’il en avait fait sa Belle Muse aux cheveux roux. Il lui dit aussi que Mal Aimé s’était étalé avec cette Jolie Rousse dans tous les cafés littéraires de Paris, qu’il menait une vie scandaleuse avec cette femme sans scrupules qui avait attiré beaucoup de poètes auprès d’elle.
Et il lui dit même que ce Mal Aimé avait réussi à attirer la critique des Anciens, bien qu’il eût voulu apaiser la querelle entre les Anciens et les Modernes.
Les derniers temps, Mal Aimé avait lancé toutes sortes de bizarreries; la Tour Eiffel était à ses yeux la bergère qui gardait le troupeau des poètes modernes. Il lui révéla aussi que cette Jolie Rousse était en réalité une émigrante russe, s’appelant de son vrai nom la Jolie Russe. Elle avait affolé tous les poètes avec lesquels elle avait entretenu des liaisons dangereuses, leur faisant tourner la tête vers une nouvelle poésie. C’était Chaud Or de l’Oeil Clos qui le lui avait dit un soir. Cette Jolie Rousse qui avait la prétention d’être la Muse de la nouvelle poésie, n’était qu’une femme de moeurs douteuses qui aimait s’afficher avec Mal Aimé mais qui se laissait aimer par tous ceux qui lui faisaient la cour.
Le coeur de la Belle Muse se serra d’indignation et de révolte et elle voulut savoir pourquoi Mal Armé lui avait menti, en lui disant que Mal Aimé l’aimait toujours et qu’il l’attendait sur leur pont de rêves et de mirages. Alors Mal Armé lui dit d’une voix vibrante et profonde: “Belle Muse, sache que ni  le Temps passé, ni les Amours reviennent!
L’heure a sonné pour la poésie pure. Tu vas te purifier dans l’Azur que je vais te montrer par mes Fenêtres. Quand tu t’enivreras de mon Azur, tu oublieras ton Pont de Rêves et ton Bien Aimé qui n’est en réalité qu’un lamentable Mal Aimé.
Je suis sûr d’ailleurs, que cette Jolie Rousse l’abandonnera un jour, tout comme Marie de L’Or si Fin, Clotilde, Amie, Salomée, Loreley, Lou et toutes les femmes qui ont cru l’aimer.”

A suivre…

La Belle Muse : le Concours – épisode 6


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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Enfin, le grand jour du concours arriva. La cour du château brillait de lumière et de gaieté. On avait dressé une estrade où le jury avait déjà pris place. Le trône doré de la Belle Muse trônait au milieu et on entendait une douce musique qui venait du côté de la forêt de symboles. Devant l’estrade, un joyeux jet-d’eau faisait jouer ses eaux claires sous les premiers rayons d’un jeune soleil estival. La Belle Muse, habillée d’une somptueuse robe à longue traîne, s’avança majestueuse et pleine de grâce vers son trône doré. Les membres du jury occupaient leurs places et elle reconnut le président, le célèbre Charles le Beau d’Orléans, appelé aussi Charles le Beau de L’Aire, le divin poète florentin au nez aquilin, Dante Allegro ma non Troppo, près duquel se tenait le génial Will Sweet White Swan. La Belle Muse reconnut aussi le beau Don Juan de la poésie romantique, Child Harold de By Round, l’immortel Méphistofaust Goetz von Berlihingen, le rêveur Nova Lisse of Ofterdingen et enfin le victorieux victorien de la victoire de l’écho sonore de tout le romantisme, Hugo Capet Capucin. La Belle Muse envoya son plus beau sourire à toute la fleur de la poésie et s’assit gracieusement sur son trône doré. A ce moment-là, les trompettes se mirent à trompetter, les tambours à tambouriner et les drapeaux à flotter sous la douce brise estivale. C’était le signal du début du concours.
On annonça le premier poète qui se détacha de la foule, se dirigeant vers l’estrade. Son nom sonore résonna dans le silence qui s’était installé dans la cour du palais: François de la Vallée Villonnaise des Loges Maçoniques de Mon Corbeau. Le poète des ballades, des pendus, des voleurs, des criminels, des testaments nuls et annulés, des grosses Margots et autres dames de Notre Dame, de jadis et de naguère, fit une profonde révérence devant l’illustre jury et une autre devant la Belle Muse. Puis, il sortit son manuscrit et se mit à lire sa ballade dédiée à la Belle Muse du temps présent.

A suivre…

La Belle Muse : le Concours – épisode 8


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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Les trompettes résonnèrent de nouveau dans la cour du palais et on annonça le second poète: Pierre de la Ronce, brave marquis de Carpe Diem et Rosam. Le marquis fut poussé par la foule, car il était un peu dur d’oreille, bien qu’il fît souvent la sourde oreille, mais ce n’était pas le cas à présent. Il s’avança vers l’estrade et fit une profonde révérence devant la Belle Muse et le jury. Il sortit enfin le manuscrit et annonça le sonnet qu’il avait dédié à la Belle Muse: “Pour ma Belle Muse helléniste.” D’un geste élégant, il éloigna un peu le manuscrit pour mieux voir et se mit à lire d’une voix grave et musicale:

Oh, ma Belle Muse, tendre et mignonne,
Allons cueillir les roses de mon jardin fleuri,
Allons cueillir les fleurs qui poussent dans la prairie,
Allons pendant l’été, n’attendons plus l’automne!

Je meurs de soif, ma mignonne maîtresse,
De tes beaux yeux qui brillent comme deux chandelles,
Et de tes seins jolis, deux douces tourterelles
Qui m’invitent envers toi avec tendresse.

Oh, ma Belle Muse, pleine de charme et spirituelle,
Ne sois pas si fière, ne me traite pas avec dédain.
N’attends plus car les roses seront fanées demain.
Bénis mon nom de tes louanges immortelles!

Car demain je serai sous la terre, fantôme sans os,
Et toi, ma Belle Muse, une pauvre vieille en repos.

Le poète des Amours observa un geste de mécontentement sur le beau visage de la Belle Muse et se dépêcha de se retirer dans la foule. En effet, le doux sourire plein de grâce de la Belle Muse s’était évanoui. Elle était en pleine jeunesse, sa beauté épanouie resplendissait sur son visage. Pourtant, les vers du poète firent son coeur se serrer. Elle avait envie d’écouter des vers plus optimistes qui lui donnent de l’espoir et de la confiance dans ses charmes. Et puis, elle attendait avec impatience de voir le Beau Prince des poètes car elle était sûre qu’il lui dédierait le plus beau poème d’amour.

A suivre …

L’enlèvement de la Belle Muse – épisode 17


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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La Belle Muse demanda à Mal Armé s’il ne connaisait pas par hasard le poète Ver de Laine.
Mal Armé eut un petit rire dédaigneux et lui dit que le fameux poète n’avait pas été trop sage, comme il l’avait été Jadis et Naguère. Il lui dit que Ver de Laine avait connu pendant ses Fêtes galantes une “nouvelle muse” très bizarre dans la personne de Rambo, un jeune poète aux traits divins mais au coeur satanique qui l’avait invité à passer toute une Saison en enfer et s’illuminer aux feux infernaux. La Belle Muse frissonna d’horreur. Elle pensait avec tristesse que la nouvelle poésie s’était engagée sur une mauvaise voie. Elle devait avoir une discussion très sérieuse avec M. Dante Allegro ma non Troppo pour voir si le chemin de l’Enfer ne pouvait pas être bouché. Il attirait de nombreux poètes qui se perdaient dans ses flammes ou ses fleuves maudits. Qu’y cherchaient-ils ? Avaient-ils perdu eux-aussi leurs dames angéliques? Devaient-ils refaire ce dur chemin que le maître florentin avait parcouru pour arriver jusqu’aux yeux divins montés au paradis de son amour?….
Plus le cheval courait dans la nuit, plus la Belle Muse devenait confuse et inquiète.  Continuă lectura

La Belle Muse endormie – épisode 2


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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Mais revenons à notre Belle Muse sans Merci, car le sommeil et les rêves l’avaient rendue un peu cruelle. Elle avait trop dormi et était devenue impatiente de se réveiller et de montrer au Prince des Poètes ses vertus qui sommeillaient et qui voulaient se réveiller à la vie et à l’inspiration.
Mais que se passait-il pendant ce temps à l’orée de ce Bois immense, ténébreux et épais où les ronces et les épines s’entremêlaient, formant une muraille infranchissable ?
Un homme était arrivé devant le bois obscur et il s’arrêta fatigué et attristé à la lisière.
Il avait bien dépassé le milieu du chemin de sa vie et il pensait avec angoisse qu’il n’avait plus à sa disposition qu’une quarantaine d’années tout au plus pour arriver au Palais des Rêves où la Belle Muse dormait et faisait de doux rêves, rêvant aux doux baisers du Beau Prince.
Tourmenté, anxieux et impatient d’arriver au bout de son chemin, notre bonhomme regardait d’un air malheureux cette forêt vierge, sauvage, dure et épaisse.
Il descendit de son cheval, une belle rosse rousse, à crinière couleur de rouille qui portait le doux nom de Rossinante et le laissa en liberté à brouter l’herbe qui poussait là-bas pour reprendre ses forces.
Il prit sa longue lance aiguë, voulant vérifier l’épaisseur de cette forê si profonde, si épaisse, si étrange et si étrangère à la fois.
Avant d’arriver avec sa rosse devant cette maudite forêt, il avait remporté d’éclatantes victoires. Les moulins à vent se mettaient à voler aux quate vents, rien qu’à la vue de sa merveilleuse lance. Il en avait abattu mil et un jusque là.
Mais cette forêt, c’était toute autre chose. Ce n’était pas de la farine que l’on moulait ici.
Après avoir vérifié son épaisseur qui était vraiment épaisse et profonde, mais également sombre et pleine de dangers invisibles, il se mit à réfléchir.  Continuă lectura

L’enlèvement de la Belle Muse – épisode 18


(Simon Vouet, Uranie et Calliope – 1634)

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La belle Muse s’étendit sur le lit pour se reposer après cette course folle dans la nuit. La voilà enlevée et emmenée dans un cénacle, parmi des poètes inconnus.
Mais ce Mal Armé l’avait complètement bouleversée. Les vers qu’il lui avait murmurés pendant la cavalcade, l’avaient profondément troublée, bien qu’elle n’y eût pas compris grand’chose. Mais elle devinait de grandes voluptés esthétiques cachées dans ses vers. Elle voulait s’initier à cette nouvelle poésie, car elle se sentait dépassée par les nouvelles directions dans lesquelles s’était engagée la poésie. Elle se rendait compte que la concurrence devenait très dure. Elle devait suivre la nouvelle ligne moderne si elle voulait faire face à la concurrence et regagner son ancienne autorité et son prestige de Belle Muse absolue.
La Belle Muse s’était assoupie, quand on frappa à la porte, ce qui la fit sursauter. Mal Armé entrouvrit la porte et lui dit que ses amis et admirateurs étaient prêts à la recevoir au milieu de leur cénacle de poésie extrêmement pure. Chacun d’eux était désireux de se présenter devant la Belle Muse avec sa création et entendre ses appréciations. Chacun espérait recevoir ses louanges. La Belle Muse enfila une robe de soir qui la faisait briller telle une nuit étoilée.
Elle vint dans la salle vivement éclairée où les poètes puristes et hermétistes l’attendaient avec une grande impatience. Elle prit place sur son siège au milieu des poètes, faisant un signe léger de la tête à Mal Armé, pour qu’il prît la parole et annonçât l’ouverture de la soirée. Mal Armé se leva tout ému, déclarant ouverte la soirée littéraire.